dimanche 16 mars 2008

Fouilles de Délos


Un jour que Dorgelès rend visite, en son atelier, à son ami le sculpteur Buron, il distingue, au milieu d'un tas de gravats, la naissance d'un cou gracieux, l'arête d'un nez, une tête de femme, presque intacte.
Qu'il a vite fait, intrigué, de dégager et de dépoussiérer.
- " C'est toi qui a fait ça ? "
- " Ce n'était qu'une ébauche, très mal partie, j'ai préféré tout jeter dans ce coin. "
- " C'est incroyable, on jurerait du marbre de Naxos, c'est un très beau travail ! "
- " Tu es fou, ce n'est que du calcaire de Pontoise, raté, en plus. "
- " Et moi, je te dis que cette tête aurait sa place au département antiquités grecques du Louvre, période cycladique. Pour un qui prône le retour aux vraies valeurs, te voilà sacrément proche des cubistes ! C'est sans doute l'inconscient qui a parlé... "
- " Salaud ! "
- " Tu me présenteras des excuses quand je t'aurai fait rentrer au musée des musées... "
Et il part sur l'heure en reconnaissance au Louvre, où il repère une colonne isolée, qui fera office de piédestal.
Note soigneusement comment sont réalisées les étiquettes, en vue d'une reproduction, et revient trois jours plus tard, accompagné d'un huissier, et de quelques amis, qui distraient le gardien, pendant que Dorgelès accomplit son forfait...
C'est fait, la tête est là, sur sa colonne, derrière son étiquette.
La troupe ressort du musée, très satisfaite d'elle-même, et tout le monde oublie cette histoire, pendant plusieurs semaines, jusqu'à ce que Roland Dorgelès décide de révéler la supercherie.
Il revient au Louvre, avec des journalistes (il l'est lui-même, à cette époque), son constat d'huissier...
Et raconte toute l'histoire, avant, devant l'assistance hilare, de se saisir de la tête, pour la ramener à la maison.
Les gardiens se précipitent :
" Qui êtes-vous, qu'est-ce que vous faites ? Reposez cette tête, tout de suite ! "
Mais Dorgelès ne l'entend pas de cette oreille...
Le conservateur en chef est appelé à la rescousse...
Écoute les arguments des uns et des autres, mais refuse de lire le constat, et finit par faire évacuer la troupe par la police.
Quarante ans plus tard, Buron n'a pas percé, Dorgelès est devenu un écrivain comblé, que ses livres "Les croix de bois" ou encore "Le château des brouillards" ont rendu riche et célèbre.
Il repense à cette histoire, et décide de faire un tour au Louvre...
Se rend au département des antiquités grecques, période cycladique...
Et retrouve la tête, qui est toujours là, à l'écart, sur son piédestal, derrière son étiquette :
Tête de divinité, entre 2700 et 2300 av J.C. Fouilles de Délos, 1902.