dimanche 16 mars 2008

Sur l'Adriatique


On commence par une évocation de notre glorieux passé raciste :
Al-Biruni (973-1050) est un très grand savant de l'islam médiéval.
Il a exploré les mathématiques, l'astronomie, la philosophie, les sciences naturelles...
Ses travaux sont d'une telle complexité qu'ils semblent pour le moins obscurs aux occidentaux, aux français en particulier.
Qui, par dérision anthropomorphique, baptisent alors les ânes du doux surnom d'Ali-Boron.
Des siècles plus tard, c'est passé dans le langage courant...

Roland Dorgelès et sa bande fréquentent Montmartre, assidûment.
En particulier le cabaret, devenu fameux, du Lapin Agile...
Tenu, à l'époque, par un certain Frédé, guitariste, violoncelliste, gai compagnon, propriétaire d'un âne, Lolo, qu'il garde attaché dans la cour. Le brave bourricot a la mauvaise habitude de remuer frénétiquement la queue, lorsque son maître lui apporte une gamelle de son, ce que n'a pas manqué de remarquer Dorgelès, dans la tête duquel germe alors une grande idée.
Il est l'ami d'Apollinaire, de Carco, de Mac Orlan, mais il ne partage pas leur goût pour Braque, ou Picasso...
Qu'il considère comme des fossoyeurs de la peinture...
Dont les critiques d'Art seraient les complices.
Devant huissier assermenté, on attache une brosse à la queue de Lolo, on installe derrière lui des pots de peinture, ainsi qu'une toile vierge... On lui donne alors du son.
Le résultat ne se fait pas attendre, et stupéfie toute l'assistance !
Jamais encore on n'est allé aussi loin en peinture...
Cette liberté, cette virtuosité de la touche, ce sens des couleurs !
C'est le nouveau manifeste de l'Art Contemporain.
Il faut trouver un nom à ce chef d'oeuvre, ce sera :
Coucher de soleil sur l'Adriatique.
Il faut inventer un artiste susceptible de l'avoir peint, ce sera : Boronali (anagramme d'Ali-Boron), né à Gênes en 1885.
On signe la toile, on l'encadre.
Au Salon des Indépendants de 1910 qui suit, et où elle est exposée, son audace formelle et sa nouveauté lui permettent d'obtenir un grand succès critique, journalistique, puis public...
Qui tourne au délire, lorsque Dorgelès dévoile la supercherie.
Dans un grand éclat de rire, le tableau est vendu aux enchères, 400 francs, une somme très importante pour l'époque.
Qui sera intégralement versée à l'orphelinat des Arts.
Après être passée dans les mains de différents collectionneurs, la toile a intégré la collection permanente de l'espace culturel Paul Bedu à Milly-la-Forêt, où on peut encore aujourd'hui l'admirer.