dimanche 16 mars 2008

Renaissance italienne


Ce matin d'avril 1453, le jeune homme qui se hâte dans les rues de Venise semble bien fébrile.
C'est qu'il est fou d'amour, et qu'il va jouer sa vie, en un instant.
Il frappe à la lourde porte.
Un domestique en livrée l'introduit auprès du maître de maison, aux genoux duquel il se jette sans attendre.
- "Signore, je vous supplie de me donner la main de votre fille Ginevra, pour laquelle mon coeur soupire, nuit et jour."
- "Mon pauvre garçon, que tu sois fils de chaudronnier m'est totalement égal.
Je suis assez riche pour doter ma fille au point qu'elle puisse vivre avec un artiste, sans soucis d'ordre pécunier.
Mais cet artiste devra être génial.
C'est ma volonté inaliénable.
Or, tu n'es que l'un des multiples élèves de l'approximatif
da Fabriano."
- "Signore, pour votre fille, je deviendrai un peintre de génie ! "
- "Peut-être... Mais, en attendant, je vais te montrer ce qu'est la vraie peinture."
Et il l'emmêne dans l'atelier qu'il a aménagé sous les combles de sa grande maison bourgeoise.
- "Vois-tu, mon garçon, même si je n'en fais pas profession, je place l'art au-dessus de toutes choses.
Je me pique moi-même de peinture, et je crois être arrivé à une certaine maîtrise, pour ne pas dire une maîtrise certaine."
Il tire alors le drap devant un onéreux chevalet.
Sur lequel trône une gigantesque toile, recouverte de peinture fraîche, qui le représente, en cavalier, arborant un air aussi martial que sa technique.
- "Quand tu seras capable de produire un tel chef-d'oeuvre, je te donnerai ma fille."
Le domestique fait alors son entrée.
- "Maître, on vous demande, pour une livraison."
- "Je te laisse méditer quelques instants."
Et il remonte très vite auprès du pauvre jeune homme.
- "Dieu, une mouche s'est pris les pattes dans la peinture fraîche ! "
Et elle a bien choisi son endroit...
Sur la partie la plus en aplat du tableau, la cuisse du cheval, elle dessine une magnifique tache noire.
Qui s'agite, car l'insecte étourdi cherche frénétiquement à échapper au piège de la peinture.
Il s'agit de l'en délivrer, sans mettre le chef d'oeuvre en péril.
Rien n'y fait, ni le souffle timide du maître, ni celui plus affirmé et rieur du garçon.
Il va falloir la saisir avec les doigts...
- "Mais, cette mouche est peinte ! C'est extraordinaire ! "
Et pour cause, c'est le seul élément vivant de ce tableau très... ordinaire.
- "Comment as-tu fait ? "

Nous ne savons pas ce que le jeune homme lui répondit.
Tout ce que l'histoire a retenu, c'est qu'il put épouser sa Ginevra, qu'ils furent heureux...
Et qu'ils eurent beaucoup de petits Bellini.

Cinq cent cinquante ans plus tard, à quelques jours près, un parfait inconnu pousse la porte de mon atelier d'alors, rue des Batignolles.
Il passe juste la tête, et me dit ces mots simples :
- "Je me présente, René Sens."
Puis il referme la porte et disparait, comme il est venu.
Étonnant, non ?